Jean-Pierre Tiffon coaching

Jean-Pierre Tiffon coaching

Le champion qui dit non

Arrivé au numéro 11, j’ai craqué et les barres des trois derniers sont tombées l’une après l’autre.

Après ma première faute, au numéro deux, je tiens en force. Il ne faut pas que je m’arrête, que j’abandonne : que penseraient-ils de moi ? Comment pourraient-ils encore me sélectionner si je me dérobais ?

Alors, il faut que je tienne. Et plus je veux tenir plus mon corps durcit, et plus ma jument  fuse et chauffe sous ma selle. Plus elle m’échappe et plus me bras sont comme du bois. Et plus sa bouche devient tendue, dure et sèche.


Ces secondes semblent des heures.

Un obstacle est sauvé, puis un autre et encore un. Un tournant pourrait calmer le jeu mais voilà qu’elle se couche et accélère pour échapper à mes mains d’acier. La ligne d’obstacles devant nous, je la vois à peine. Elle frôle le vertical, couvre à peine l’oxer, se sort tant bien que mal du triple.

La dernière ligne s’annonce. Tenir encore et sortir avec une seule faute. Un rêve pointe au milieu de ce cauchemar. La réalité est autre : une, et deux et trois, les fautes s’accumulent. Mon corps se détend ou plutôt se vide : plus d’énergie, vidé, rincé.

Je vois alors leurs yeux, leurs ressentiments, leurs déceptions. Des paires d’yeux braqués, froids ou dépités, ceux des propriétaires, ceux des parents, ceux des entraineurs.

J’aimerai tant qu’ils sachent et sentent ce que je sens et sais à cet instant. Tant de travail acharné, tant de matins, d’heures, d’efforts, d’espoirs, et tant de vide à cet instant. Un vide sidéral et inquiétant. Heureusement que je la sens sous moi, suante et presque minuscule tellement elle se sent usée.

Leurs yeux me glacent et me réduisent au silence. Ils ne peuvent comprendre, ils ne veulent pas comprendre. Ils pensent que tout est mécanique, que tout se maîtrise, que la volonté suffit, que le travail produit toujours du succès, que le sport ressemble aux affaires, que l’on manage un cheval comme l’on dirige une entreprise, qu’un cheval se pilote comme une formule 1 ou un avion.

S’ils savaient ce qu’est vraiment mon sport, ils sauraient à qui je pense.

Je pense à elle, seulement à elle, à ses muscles endoloris, à ses jarrets douloureux, à sa bouche hypersensible, à son souffle qu’elle a du mal à récupérer. Je pense à ma jument.

Je sais que ce Grand Prix était de trop. Je sais qu’il fallait renoncer pour qu’elle se repose, qu’elle se soigne, que je la soigne. Je n’ai pas osé les affronter tous, pas eu le courage de risquer ma sélection future en leur disant non.

Ce soir je le sais : un champion est celui qui dit non.



06/09/2015
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