Jean-Pierre Tiffon coaching

Jean-Pierre Tiffon coaching

Être en relation avec le cheval


Le sujet, l'objet ou la pauvreté intérieure

Quand ils entrent en contact avec les chevaux, quand ils sentent leur souffle et la présence de leur regard, quand ils (re)découvrent ce que veut dire "vivant", bon nombre des cadres et des managers que j'accompagne sont touchés en profondeur, émus aux larmes pour certains, surpris de ce qui s'éveille ou se réveille en eux.

 

Quand j'observe cette relation qui se noue je me demande parfois qui est le sujet et qui est l'objet.

 

Longtemps, les chevaux ont été "objet" aux mains des hommes pour aller à la guerre, pour labourer les champs, pour transporter les hommes ou les charges. Il était considéré par les religions ou les dogmes comme un être inférieur à l'homme certes doué de force et de puissance mais non doué d'émotions et encore moins de raison. Quelques philosophes, militaires ou nobles le voyaient certes autrement comme une matière vivante à travailler comme un artiste peint ou modèle une statue. Ils inventèrent l'art équestre. Mais pour la masse le cheval restait l'inférieur et l'obligé de l'homme. L'homme était le sujet et l'animal l'objet.

 

Or à observer certains managers et dirigeants tenter de dialoguer avec des chevaux bien vivants, présents à ce qu'ils sentent et font, leurs sens bien ouverts, je m'interroge sur cette possible inversion : ici le cheval serait le sujet et l'homme un simple objet. Confiant mon interrogation à l'un de mes amis qui se consacre à développer la pleine conscience, il m'a dit percevoir les mêmes sensations. Il est marqué par la "pauvreté intérieure" de nombre de cadres ou dirigeants qui passent entre ses mains. Rarement à l'écoute d'eux même et des autres, la conscience de leur environnement réduite aux signes numériques qui les submergent, enfermé dans des bulles certes ouatés mais sans odeur et sans saveur.

 

Alors, une nouvelle mission pour les chevaux ? Celle de redonner vie et vivacité aux hommes, les reconnecter avec le vivant, leur redonner goût à devenir sujet et acteur de leurs vies. Le cheval moyen de la (re)conquête de l'homme.


25/02/2016
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Que perçoivent-ils donc de nous ?

Il est venu vers ce stage "d'équicoaching" un peu par hasard, orienté par un ami.

 

Il ne connaît pas les chevaux et se demande ce qu’il peut apprendre en deux jours, sur lui et sur les relations qu’il entretient avec ses chefs et ses subordonnés. C’est ainsi qu’on lui a parlé de ce stage associant formation au management et chevaux.

 

Autour de lui, ils sont sept ou huit venant d’horizons divers : un chef d’entreprise, une directrice financière en reconversion, deux ingénieurs et quelques autres aux fonctions indéfinissables.

 

Chacun explique les raisons de sa venue, ses motivations et ses attentes. Le plus souvent ils évoquent une envie de changer quelque chose, sans savoir vraiment quoi.

 

Quand son tour vient, il ne sait trop quoi dire. Lui se sent bien. Son job de directeur commercial marche correctement et les résultats sont bons. Son équipe de « Régionaux » fonctionne plutôt bien. Certains encaissent peut-être « un peu dur » car le marché est compliqué. Gagner contre les concurrents est un combat de plus en plus violent. Avec son patron, il s’entend bien et depuis longtemps.

 

Alors, il ne comprend pas ce qu’on semble lui reprocher : se mettre trop de pression et mettre par ricochet ses équipes sous haute tension.

 

Quelques minutes plus tard, il entre dans le rond de sable entouré de belles barrières de bois. Il va y faire tourner une petite jument grise, une grande ponette câline. Il a pour simple consigne de se placer au milieu du corral et d’en faire le moins possible avec ses mains, ses bras, son corps ou sa voix.

 

Et pourtant, l’improbable se produit, la jolie jument grise part immédiatement au galop, accélère, tourne et tourne encore, le regard fixé sur cet inconnu. Il se demande quoi faire. Et elle accélère encore. Un, deux, trois, maintenant dix tours. Il est figé au centre de cette ronde infernale. Lui qui habituellement gère tout, est tétanisé bien incapable d’agir. Il veut qu’on lui dise quoi faire pour arrêter ce manège qu’il ne supporte plus. Il veut des solutions.

 

Rien ne vient, bien au contraire. L’ordre lui est donné de ne plus rien faire, de respirer le plus profondément qu’il peut, de s’imaginer froid et calme comme un lac de montagne.  Est-il tombé chez des fous ?

 

Il inspire comme jamais, et relâche l’air par petites bouffées. La tempête en lui se calme, ses mâchoires se détendent, son cœur ralentit.  Alors, progressivement la jument ralentit comme en écho, son galop est moins saccadé et son regard plus tranquille. Elle passe au trot, puis au pas. Et quand elle s’arrête, elle lui fait face mais reste à bonne distance.

 

Qu’émane-t-il donc de lui qu’il ne perçoit même pas ? Quelle sorte d’énergie jaillit de son corps à mettre en transe cette jument habituellement si calme ? Que transmet-on autour de nous ? Que perçoivent donc ces animaux dont nous ne sommes pas conscients ?

 

Il est dans ses pensées. Un souffle le réveille. La belle ponette grise pose sa tête sur son épaule. On pourrait croire qu’il pleure.


17/09/2015
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la rencontre et l'entente, plus ou moins parfaite, plus ou moins rapide

Lu dans un manuel d’équitation / Saumur 1912

« Le paysan est rarement cavalier de naissance ; les travaux de force lui sont habituels ; il est souvent épais, gauche, contracté, brutal dans ses mains, inhabile de ses jambes ; il n’est pas maître de ses aides ; ses actions sont contraires, violentes, incertaines.

Le cheval, de son côté, est un être vivant avec ses forces physiques et morales ; il a des muscles, un système nerveux, osseux, cérébral, sanguin ; il a son intelligence, sa volonté, ses révoltes ; le tout soumis à un développement que régissent les lois de la nature, elles-mêmes sujettes à des variations et à des contradictions dont les causes et le sens nous échappent le plus souvent.

Il y a donc ici deux êtres vivants en présence, et l’équitation n’est autre chose, précisément, que la rencontre, l’entente plus ou moins rapide, plus ou moins parfaite, de ces deux forces physiques, de ces deux volontés, qui, parties de très loin, marchent l’une au-devant de l’autre sans se connaître et sans se comprendre encore ».

Qu'en est-il, un siècle plus tard, de la rencontre entre un urbain connecté au virtuel et un cheval ?


17/09/2015
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Le champion qui dit non

Arrivé au numéro 11, j’ai craqué et les barres des trois derniers sont tombées l’une après l’autre.

Après ma première faute, au numéro deux, je tiens en force. Il ne faut pas que je m’arrête, que j’abandonne : que penseraient-ils de moi ? Comment pourraient-ils encore me sélectionner si je me dérobais ?

Alors, il faut que je tienne. Et plus je veux tenir plus mon corps durcit, et plus ma jument  fuse et chauffe sous ma selle. Plus elle m’échappe et plus me bras sont comme du bois. Et plus sa bouche devient tendue, dure et sèche.


Ces secondes semblent des heures.

Un obstacle est sauvé, puis un autre et encore un. Un tournant pourrait calmer le jeu mais voilà qu’elle se couche et accélère pour échapper à mes mains d’acier. La ligne d’obstacles devant nous, je la vois à peine. Elle frôle le vertical, couvre à peine l’oxer, se sort tant bien que mal du triple.

La dernière ligne s’annonce. Tenir encore et sortir avec une seule faute. Un rêve pointe au milieu de ce cauchemar. La réalité est autre : une, et deux et trois, les fautes s’accumulent. Mon corps se détend ou plutôt se vide : plus d’énergie, vidé, rincé.

Je vois alors leurs yeux, leurs ressentiments, leurs déceptions. Des paires d’yeux braqués, froids ou dépités, ceux des propriétaires, ceux des parents, ceux des entraineurs.

J’aimerai tant qu’ils sachent et sentent ce que je sens et sais à cet instant. Tant de travail acharné, tant de matins, d’heures, d’efforts, d’espoirs, et tant de vide à cet instant. Un vide sidéral et inquiétant. Heureusement que je la sens sous moi, suante et presque minuscule tellement elle se sent usée.

Leurs yeux me glacent et me réduisent au silence. Ils ne peuvent comprendre, ils ne veulent pas comprendre. Ils pensent que tout est mécanique, que tout se maîtrise, que la volonté suffit, que le travail produit toujours du succès, que le sport ressemble aux affaires, que l’on manage un cheval comme l’on dirige une entreprise, qu’un cheval se pilote comme une formule 1 ou un avion.

S’ils savaient ce qu’est vraiment mon sport, ils sauraient à qui je pense.

Je pense à elle, seulement à elle, à ses muscles endoloris, à ses jarrets douloureux, à sa bouche hypersensible, à son souffle qu’elle a du mal à récupérer. Je pense à ma jument.

Je sais que ce Grand Prix était de trop. Je sais qu’il fallait renoncer pour qu’elle se repose, qu’elle se soigne, que je la soigne. Je n’ai pas osé les affronter tous, pas eu le courage de risquer ma sélection future en leur disant non.

Ce soir je le sais : un champion est celui qui dit non.


06/09/2015
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Etre en contact

« La porte est ouverte », plus rien ne nous sépare.
Le cheval bouge la tête, me regarde, se tourne vers moi. Lentement. J’avance d’un pas, presqu’agacé qu’il ne manifeste pas plus d’empressement à me rejoindre.

Il fait un pas, tourne sur lui même, puis un autre. Nous sommes presqu’en contact. Sa tête et son encolure s’allongent vers moi, comme pour…Me dévorer ? Me bousculer ? M’agresser ?

Par réflexe, j’élance alors ma main pour le toucher ou plutôt pour éviter qu’il ne me touche. Je flatte son encolure, je le caresse et me rassure. Il a reculé d’un pas et détourné le regard. Sa tête s’éloigne. Je me sens seul.

Recommencer, autrement, plus lentement. Gouter chaque instant, sans laisser les pensées m’envahir. Sans vouloir maîtriser cette prise de contact.

À nouveau devant la porte. J’entre dans le box et attends. Il grappille du foin et pourtant je sens qu’il m’a vu entrer. Il me regarde. Il respire souplement. Il se tourne, s’avance vers moi, s’immobilise à un mètre. Il avance encore et s’arrête.

Mes mains, au bout de mes bras, pendent le long de mes cuisses.

Son nez s’approche. Il vient sentir, détecter, humer. Sa barbe sous le menton me frôle la peau. Il renifle ensuite le lainage de mon blouson. J’ouvre ma paume de main. Il tend le nez, commence à me lécher.  Sa langue rose, épaisse, rêche nettoie l’intérieur de mes mains. J’accepte ce geste comme un présent ou une offrande.

Puis son encolure s’élève et sa tête vient se poser sur mon épaule. Ses naseaux se posent sur mon cou, là où s’endorment les nourrissons. Je sens son souffle dans mon cou, je sens mon souffle dans son corps. Nos rythmes s’harmonisent.

Nous sommes en contact.


23/08/2015
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